Dialogues dans la nuit
Je ne sais pas ce qu'est la réalité virtuelle. Que sont ces visages et ces corps, alignés en colonne, sur mon écran, offerts publiquement, et dont la présence même ici, et en dépit parfois de leurs dénégations, dit qu'ils sont en demande. Qu'est ce que dit ce foisonnement catalogué, quelles rencontres possibles... le nombre construit-il l'espoir et qu'est ce que j'attends d'eux... Une question sans cesse répétée, kes ke tu ch ici ?, une ouverture puisqu'il en faut bien une jusqu'à l'impasse le plus souvent, on pourrait dire presque immanquablement. Pourtant avant hier soir, ils étaient trois que j'ai abordé sur un chat. Etrangement, quelque chose s'est inventé... une dimension nouvelle, un mouvement de bascule, là, tard dans la nuit.
Le premier affiche la photo d'un autre plus beau que lui, dit qu'il est timide, et en substance qu'il ne fait rien de sa vie. Pourtant il veut parler, et finira par dire qu'il lit après le travail des bouquins d'aéronautique pour rêver encore d'un ciel qui l'a fuit. Hier, il se voulait astronaute ou pilote. Aujourd'hui, il est informaticien et dit qu'il n'est pas sûr de lui.
Le deuxième me recommande de ne pas me poser trop de questions mais emmerde ceux qui lui reproche d'être parfois fragile. Il a l'air d'avoir renoncé et pourtant il m'écrit avec ses mots à lui : " Etre soi meme c'est justement être plein de doutes et de rêves un peu comme quand on était gosse, qu'on avait peur du noir et qu'on croyait au Père Noel. On est tous un peu ça en version adulte". Pour cela, merci.
Le troisième me parle au détour d'une phrase du Journal des Riens. Je ris, étonné, et lui demande s'il connait mon blog. Il répond que oui et que ce que j'écrit l'a touché. C'est moi qui suis touché. Nous parlons longtemps et je raconte l'étrangeté de ce que je vis depuis quelques mois, ce besoin d'écrire ici le fil du jour. Il me dit alors ceci : " Acter l'existence l'écrire quelque part pour qu'elle ne file pas entre les doigts ça me rappelle une belle chanson de Benjamin Biolay : la vie est courte mais on la sent passer j'ai l'impression qu'avec un blog, elle passe mieux". Il dit encore ceci : "Je crois que c'est cela que j'aime dans ton blog et dans celui de Chronolog : cette absolue nécessicité d'écrire qu'on est en vie on le ressent très bien quand on vous lie oh pardon lit". Je ne comprends pas que l'on puisse comprendre si bien et cela me donne envie de le lire et d'entendre encore ces mots à lui. Je lui dit qu'il pourrait être autre chose qu'un lecteur. Je lui dit qu'un blog peut-être serait quelque que chose à faire. M'as-t-il répondu ? Ce soir, je reçois un message de lui où il me dit qu'il a réfléchi à ce que nous nous somme dit. Et m'invite à quitter l'aéroport, écourter les adieux. Evidemment je l'ai suivi, ici.
Qu'ils me pardonnent ces emprunts à nos dialogues communs, je ne voulais rien voler et je n'ai recopié que ce que je ne voulais pas voir disparaître. Réflexe de bloggeur. Bien sûr. Et c'est que, contre toute attente, à trois heures du matin, le virtuel a pris, moments de grâce, une réalité magnifique. Celle d'être entendu. J'en ai besoin. Je me sens seul.