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EyckBlog - Journal des Riens
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9 août 2004

Lointain rivage (echo)

Se réinventer toujours. Peut-être l'objet de ce blog. Avant de partir, dans un de ses messages, peut-etre pour recommandation de voyage, Chronolog me dit de voir loin. Effectivement les rivages de l'Orient sont lointains, mais sont-ils vraiment éloignés de moi ? Je suis arrivé à Saigon avec une impression de proximité immédiate, presque de déjà vu, alors qu'il s'agit de mon premier voyage ici. Sans doute parce qu'après deux semaines au Vietnam, les visages ne me sont plus inconnus, les bruits, la circulation des voitures et surtout des motocycles beaucoup plus familiers, et puis enfin, il s'agit d'une capitale dont l'activité prend place dans un décor comparable avec ses places, ses rues, ses buildings à n'importe quelle autre ville, à l'exception peut-être des vendeurs de nourriture dans la rue, omniprésents. Comme le dit un refrain repris à tue-tête dans les karaokés par les vietnamiens de l'étranger nostalgiques, Saigon dêp lam, Saigon hoi, Saigon hoi (Saigon que tu es belle, oh Saigon, oh Saigon), mais plus vraiment exotique. Ce n'est pas grave, l'important est ailleurs.

Je suis sorti hier soir dans la boîte la plus populaire d'Ho Chi Min. Un club café, avec quelque chose d'innocent dans l'air  qu'on ne trouve plus me semble-t-il en Europe. Beaucoup d'asiatiques évidement, pas mal d'occidentaux aussi,  habillés pour sortir mais pas over lookés, pas de véritable piste de danse, une terrasse avec hot dogs sur barbecue, un comptoir où acheter des assiettes de fruits frais pour accompagner les consos, des vigiles partout DANS la boîte mais discrets, des serveurs en chemise hawaïenne, et de vieux tubes remixés. L'endroit n'est pas très grand mais bondé, et dans une ambiance bon enfant, les gens s'amusent vraiment, chantent, rigolent, parlent, se rencontrent aussi éventuellement, assez facilement me semble-t-il. Ici c'est mixte et les gays sont là, apparents, visibles pour certains d'entre eux, mais fondus dans la foule, si intégrés que devant mes yeux, un petit gars accroche par la taille un « handsome guy » pour danser avec lui sans susciter autour d'eux de réactions particulières. M'ayant entendu parlé anglais, le petit gars justement s'approche de moi pour me demander d'où je viens. Nous commençons à parler, il m'explique qu'il est vietnamien mais vis en Amérique, en vacances pour quelques jours encore dans la ville et il me présente sa bande. Je comprends que son approche n'était pas le fruit du hasard, il a remarqué que nous nous lancions avec le beau type en question de multiples œillades. C'est son « best friend » ici, qui ne parle pas un mot d'anglais, moi pas un mot de vietnamien et l'ami américain s'offre comme entremetteur et interprète. Nous dansons encore un peu et tout le monde se retrouve autour d'une table pour partager des bières. L'objet de mon attention s'appelle Cuong, a vingt sept ans, est éclairagiste, belle gueule, plutôt grand par rapport à la moyenne, pas mal foutu du tout, avec ce sourire et ce regard d'une douceur infinie que j'ai déjà rencontré au Vietnam et qui auront traversé mon voyage.

Après avoir alignés les bouteilles de Tiger beer locale, c'est le signal du départ, la boîte éteint ses lumières. Ici les clubs ouvrent à 20H00 et ferment tôt, vers minuit, une heure du matin. Le viet américain me propose de me joindre à son groupe et partir en taxi pour aller manger dans un restaurant  de rue. Autour de la table basse, Cuong est assis à côté de moi, sur un des tabourets en plastique et les plats se succèdent,  il se sert  à la vietnamienne de ses baguettes pour prendre les aliments dans les assiettes et les déposer dans mon bol. C'est mignon. Nous ne nous disons pas grand-chose mais suffisamment pour comprendre, après traduction, que je lui plais vraiment et que c'est réciproque. Au fur et à mesure de la soirée, nous nous rapprochons l'un de l'autre, sa main sur ma cuisse, mon bras sur ses épaules, nous nous frôlons, nous nous touchons.  Il m'embrasse à un moment en se penchant vers moi au creux du cou. Au Vietnam, les gestes d'affection entre garçons sont courants, sans ambiguïté aucune, on peut se tenir par la main dans la rue, nous en profitons. Je comprends à un moment que Cuong terminerait bien la soirée avec moi, mais cela peut poser problème, il ne semble pas qu'il soit possible de faire monter un inconnu, vietnamien de surcroît, dans les chambres d'hôtel. Il a l'air d'hésiter comme moi à prendre le risque et nous finissons par renoncer, je ne sais pas si nous nous sommes bien compris. Nous projetons d'aller à la plage le lendemain avec son pote américain et son boyfriend, je crois saisir qu'il pourrait louer une voiture, nous nous donnons rendez-vous à midi. La nuit se termine, on me hèle un taxi, il est quatre heures et demi, je suis un peu ivre, pas seulement d'alcool, c'était chic.

Aujourd'hui Cuong n'est pas venu me rejoindre. Je ne sais pas pourquoi. Personne ne répond au numéro de téléphone qu'il m'a laissé. Peut-être y a-t-il eu des difficultés avec son ami américain qui ne me semblait pas très fiable sur la fin de la soirée, peut-être que je n'ai pas bien compris le moment, le lieu ou l'heure à laquelle nous devions nous rencontrer, peut-être a-t-il changer d'avis. Je suis un peu déçu évidement, mais ce n'est pas grave, l'important est ailleurs, je l'ai déjà dit. Après cette histoire, l'important je crois est ce que je pressens.  Ce que je pressens, c'est que quelque chose commence à m'être rendu. Ce qui était heureux hier soir, c'est de sentir à travers le regard de Cuong, la possibilité d'aimer les miens et de leur plaire aussi. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre. Quand vous grandissez différend physiquement de tous les autres, en dehors des normes courantes de ce qu'on valorise comme ce qui est beau, l'interrogation est permanente. Je ne suis pas monstrueux évidement, mais j'ai toujours eu l'impression de séduire parce que j'étais au premier abord exotique. Et que cet exotisme là m'emmerdait parce que si cela pouvait parfois être une chance, il m'éloignait du courant général, des autres, et pouvait me conduire bien souvent à souhaiter ne plus être moi. J'ai déjà parlé ici de M. Il me semble que si mon histoire avec lui a pris autant de résonances, un point de dépendance absolue, c'est qu'il a représenté pour moi la quintessence de l'Européen que je ne suis pas, que je voulais être et que son désir de moi  me rendait au commun, à la communauté dans laquelle j'ai été élevée et dont j'avais l'impression ne pas faire partie. Voilà pourquoi, sur le terreau d'autres fêlures mal réparées, cela fut aussi douloureux qu'il quitte mes fragilités, rejoindre l'Asie et ses autres garçons. Dans ma tête, quelque chose qui disait tu ne plais pas ici,  ils sont mieux que toi là bas, quelque chose qui disait que je n'étais nulle part chez moi. Ce que j'ai entraperçu dans le regard de Cuong est un coin de miroir, dans lequel il pourrait être possible de se voir et s'aimer soi. Je sais bien que ce regard n'est pas tout, et que pour lui aussi, comme vietnamien d'outre mer je suis sans doute aussi un peu exotique, et que la vie est comme ça, pour le meilleur et pour le pire, je serais toujours un étranger. Mais je voulais juste dire que j'ai aimé cet instant où le désir d'un autre, presque pareil à soi, vous rend à vous-même. J'écrivais au début de ce voyage qu'il pourrait être une réparation amoureuse, plus loin est-il possible qu'il soit une réparation identitaire ? Plus loin…Voir loin… dis Chronolog. Hum…peut-être : je suis allé hier matin par curiosité voir la messe dans la Cathédrale de Saïgon. Je ne suis pas catholique. Je ne sais pas s'Il existe. Mais s'Il est Amour qu'Il m'accorde la grâce de la réconciliation et me permette de toucher le rivage.

 

Ps. Chronolog me dit qu`il n`arrive pas a laisse de commentaires sur le blog. Je ne sais pas si il y a un probleme, peut etre le filtrage sur le net de la censure vietnamienne. Je ne pense pas. Si vous laissez un commentaire, merci de m`envoyez une copie sur mon adresse e-mail.

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Commentaires
L
Salut ! <br /> en ce moment je suis en Chine, je viens de lire ton blog, par hasard, et ce que tu décris me rappelle étrangement ce que je vis des fois en Chine...Continues !!
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