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EyckBlog - Journal des Riens
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22 juin 2004

Scout toujours prêt

On a déjà parlé ici ou ailleurs de la difficulté à écrire les moments du bonheur. Le malheur nous serait-il plus immédiatement intelligible, et dire la souffrance ou la douleur  plus accessible ? Si oui, peut-être est-ce parce que raconter le malheur, c'est raconter le désir non satisfait, l'espérance qui ne s'est pas réalisée, l'expérience du manque et de l'absence, c'est à dire une expérience vécue, éprouvée par tous et qui nous parle à tous. Sans doute alors quand on me parle du malheur, je sais de quoi on me parle, mais quand on me parle du bonheur, de quoi veux-t-on me parler ? Et si je ne sais pas le définir, comment  en témoigner, en  montrer le signe tangible, compréhensible par tous ?

Ces questions je me les suis posées en terminant la lecture du dernier bouquin d'André Comte-Sponville « La plus belle histoire du bonheur » et qui finissait par ces mots : « Le bonheur n'est ni dans l'être, ni dans l'avoir. Il est dans l'action, dans le plaisir et dans l'amour ».

J'ai pensé alors à un souvenir qui m'avait bouleversé, un moment d'enfance que j'avais complètement oublié, et dont je me suis rappelé alors que je me trouvais au cœur de la dépression, dans ce temps où tout semble vous avoir quitté. J'avais 8 ou 9 ans, je faisais partie d'une troupe de scouts, et nous étions partis en camp de vacances. Un grand jeu avait été organisé avec des territoires à défendre, et je me suis retrouvé au milieu de la forêt, avec dans la main un bâton tournoyant comme une épée, seul devant une armée, poursuivant chaque assaillant, les faisant fuir en poussant des hurlements. On peut sourire ou se moquer mais cet évènement a pris place dans un quotidien familial fait de violences, voilé de peurs et d'insécurité où je tentais le plus souvent tétanisé de faire face au fracas. Et pendant ce jeu, j'ai découvert un combattant que je ne connaissais pas. Des années plus tard, dans cette période où j'avais tout abandonné, c'est de cette énergie, de cet élan dont je me suis souvenu, quelque chose que je croyais ne pas posséder mais qui pourtant avait existé, qui était en moi, et qui finirait de mourir si je ne le retrouvais pas.

Ce dont je parle là c'est bien du bonheur. Mais c'est autre chose que le bonheur du plaisir, où le plaisir serait celui du désir réalisé, celui de voir les autres garçons s'enfuir effrayés par mes moulinets ou mes vociférations, autre chose que le bonheur de la réussite, de la puissance ou de l'accomplissement. 

Ce dont je parle là c'est bien du bonheur. Mais c'est autre chose que le bonheur de l'action où, dans un temps suspendu, vous ne faites qu'agir en ne pensant à rien d'autre, où il n'existe que le faire pour le faire, cette concentration, cet effort à maîtriser votre environnement en sachant qu'il vous est possible d'y parvenir.

Le bonheur dont j'aimerais savoir parler c'est celui de « l'amour réalisé du désir demeuré désir » dont parle René Char, cité par Compte-Sponville. Ce ne serait pas seulement le bonheur de gagner, ce ne serait pas seulement le bonheur de jouer, ce serait le bonheur de désirer un désir qui ne vous quitte jamais. Et ce désir là ne pourrait être celui de ce qui vous manque mais de ce qui vous est offert. Ce désir durerait tant que vous seriez vivant, voilà pourquoi il aurait le goût d'éternité. Vivant vous pourriez rendre le désir éternel, vous croire éternel. Oui, c'est le bonheur d'être éternellement désirant et donc vivant dont j'aimerais parler, voilà pourquoi, aujourd'hui encore, les mots me manquent.

 

Mais d'autres y parviennent :

"Mon Dieu, comme cette vie est belle et comme elle est bien faite : en nous, quelque chose a faim. Au-dehors, une quantité infinie de nourriture, plus que de raison". Christian Bobin

 

 

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