En escalade
Au point de départ son départ. Un départ attendu il y a un an et reporté contre sa volonté. Un départ très loin de la ville pour douze mois minimum qui pourrait se prolonger et sans retour assuré. Jétais prévenu quand je lai rencontré, je men suis arrangé. Puisquil refuse aussi toute construction, tout échafaudage amoureux, jai tenté de me servir de ce départ possible pour me protéger et cesser dattendre de lui. Un départ comme point dhorizon sur lequel nous sommes restés fixés pour continuer dêtre ensemble, et nous avons bricolé depuis ce temps une histoire aux perspectives limitées mais habitée du présent à vivre.
Sur un malentendu, jai cru dabord une fois de plus que peut-être cela ne se ferait pas. Mais au fur et à mesure de la conversation, les contours de la situation sont devenus plus précis. Il a la main et selon toutes probabilités, il partira. En lécoutant, jobservais la lumière tiède sous les abats jours, sur la table de la terrasse le scintillement des bougies éclairant le couvert soigneusement disposé, au-delà léclat bleu de la piscine dans la pénombre, et dans cet enchantement là, jai senti que si rien ne me retenait quelque chose allait lâcher prise et que jallais tomber. Surpris de me trouver en si mauvaise posture, le nez collé maintenant au mur de la réalité que javais cru pendant longtemps pouvoir escalader, jai eu la tentation de lappeler au secours et de venir me sauver du sentiment dabandon. Viens, prends-moi dans tes bras et empêche moi de glisser. Mais avec lui, on ne hurle pas, on ne panique pas. Après le dîner, jai attendu alors, au bord du précipice, quil vienne me rejoindre dans le lit où je faisais semblant de ne pas avoir peur, en lisant un bouquin sur lequel je ne me concentrais pas. Il est venu et nous avons fait lamour comme jamais jusquici. Pour la première fois, cest lui ensuite qui a posé sa tête contre ma poitrine et sest endormi, et moi qui lui caressais la nuque. Et dans ce geste là, jai compris quil venait de moffrir un point dappui et que je pouvais recommencer à grimper. Ce nétait pas moi qui avais besoin dêtre protégé, cétait lui. Tout était bien, cétait à moi de choisir.